What is une émotion ?

« Regardez ! Ce chat pleure car il vient de retrouver son humain ! »

On a tous vu une photo du genre sur Facebook et c’est trop mimi. Il pleure, il est triste, c’est clair, c’est compréhensible, fastoche les émotions des animaux.

Oui, mais non. Pour ce cas précis, on n’a jamais clairement pu lier les larmes à la tristesse ailleurs que chez l’humain. La plupart des chats qu’on voit pleurer, c’est plutôt de l’épiphora. En gros, il y a un truc qui ne tourne pas rond dans l’écoulement des larmes, mais ça n’est pas vraiment lié à un état émotionnel.

Mais c’est quoi d’ailleurs une émotion ? L’émotion est une réaction affective brève et intense à un événement précis. On considère qu’une émotion se traduit généralement de trois manières :


• Une réaction comportementale : je saute en l’air en criant : « Youhou ! »


• Une réaction physiologique : mon taux de cortisol monte en flèche, mon cœur s’emballe, ma respiration s’accélère.


• Une réaction subjective : « Alors je suis très heureux et ému d’être le 1 500e sur ce site et d’avoir gagné l’offre exclusive du smartphone à 10 € en échange d’un virus sur mon ordinateur ! »


Sauf que les émotions pourraient très bien se limiter aux deux premiers aspects, sans forcément nécessiter d’avoir conscience de cette émotion. Quand j’ai peur, j’ai peur ! Je ne décide pas de sursauter ou de faire monter mon rythme cardiaque. Le fait de réaliser consciemment que j’ai peur intervient dans un second temps.

Alors, comment savoir si les animaux possèdent ce ressenti subjectif des émotions ? On ne peut pas vraiment leur demander, sauf à croire en la médiumnité et à la « communication animale intuitive », ce qui n’est pas mon cas. 


[...]


Mais alors, est-ce qu’on a démontré tout ça chez les moutons ?

 

On sait déjà, par des études antérieures, que les évaluations « de base » comme la soudaineté ou la familiarité sont à la portée des moutons.

Mais qu’en est-il des évaluations plus complexes comme la prévisibilité d’un événement, la correspondance entre le résultat et les attentes, la contrôlabilité ou le rapport aux normes sociales ?

Dans tous les travaux dont on va parler, de nombreux comportements(bêlements, position des oreilles, etc.) et indices physiologiques (rythme et variabilité cardiaque notamment) sont relevés et analysés.

 

Étude 1 : La prévisibilité. 

Des brebis sont habituées à manger dans une petite gamelle.

Pour les effrayer, les scientifiques font parfois brutalement tomber une plaque derrière la gamelle. Les brebis sont divisées en 3 groupes : un groupe pour lequel la plaque peut tomber n’importe quand, un groupe pour lequel la plaque tombe une fois sur deux et un groupe pour lequel un signal lumineux informe l’animal de la chute imminente de la plaque.

Résultats : les réactions de frayeur sont plus faibles quand l’événement est prévisible (groupes 2 et 3) que lorsqu’il ne l’est pas.

Les brebis peuvent donc bien évaluer la prévisibilité d’un événement, ce qui influence leur réaction émotionnelle.

 

Étude 2 : La correspondance aux attentes.

Dans cette expérience, les agnelles sont à nouveau séparées en plusieurs groupes.

Certaines sont habituées à recevoir une petite récompense, d’autres une grosse.

Ensuite les chercheurs font varier la récompense, par exemple : p e t it e - g ro s s e - p e t i t e - p e t i t e o u grosse-petite-grosse-grosse.

On imagine que les agnelles qui passent de petite à grosse vont sabrer le champagne tandis que celles qui passent de grosse à petite ont de bonnes raisons de râler !

Effectivement, les réactions face au changement s’avèrent très différentes selon les groupes, avec un net mécontentement pour les brebis qui passent d’une grosse récompense à une petite ! Les agnelles forment donc des attentes sur ce qu’elles devraient recevoir et réagissent fortement quand ces attentes sont déçues !

 

Étude 3 : La contrôlabilité.

 

Les brebis sont entraînées à manger dans une gamelle.

Pendant qu’elles s’alimentent, un souffle d’air est projeté au niveau de la gamelle à un timing aléatoire, et une grille coulisse simultanément pour en bloquer l’accès.

Deux groupes d’agnelles : un groupe qui ne peut rien y faire et un groupe qui a appris qu’en glissant son museau dans un trou dans le mur on peut stop - per le souffle et retirer la grille.

Résultat : les animaux qui peuvent contrôler l’interruption de l’événement négatif sont globalement moins stressés que ceux qui n’y peuvent rien ! La possibilité, ou non, de contrôler un événement négatif a donc également une influence sur les réponses émotionnelles des brebis !

 

Étude 4 : Les normes sociales.

Le protocole est assez similaire à la première étude où une plaque tombe derrière une mangeoire. Changement principal : cette fois-ci la brebis est accompagnée d’une subordonnée ou d’une dominante.

Si le statut social a un impact dans les réactions émotionnelles, les brebis devraient réagir de manière différente selon la position hiérarchique de leur camarade.

C’est exactement ce qu’on observe ! Les brebis ont des réactions de surprise bien plus marquées si elles sont en présence d’une subordonnée que d’une dominante.

Par conséquent, le contexte social joue aussi un rôle dans l’expression des émotions, ce qui peut, dans une certaine mesure, impliquer l’influence des normes sociales, la chercheuse soulevant la possibilité d’un parallèle avec la honte dans le cas présent.

 

À quoi ça peut bien me servir de savoir ça ?

 

[...] On pourra déduire le type d’émotion qu’un animal peut ressentir par sa sensibilité aux différents critères.

Par exemple, la colère est une émotion produite par une situation soudaine, peu familière, peu prévisible, urgente, qui ne correspond pas aux attentes du sujet et qui peut être contrôlable en adaptant son comportement (il y a plus de critères que ça, je la fais courte). Tout individu sensible à ces éléments pourra donc se mettre en colère !

Si l’on assemble les critères d’évaluation que nous savons accessibles aux moutons, on peut supposer de manière assez solide qu’ils ressentent à minima : le plaisir, le dégoût, le désespoir, la peur, la colère, la rage et l’ennui, et vu l’aspect volontaire et conscient des évaluations les plus complexes, il est probable qu’ils aient accès à la partie subjective de ces émotions.

Néanmoins, tout ça n’est qu’un début. Entre la contagion émotionnelle chez les cochons, la réconciliation chez les chèvres, les léchouilles sociales chez les vaches, l’empathie chez les poules… Il reste encore énormément de choses à découvrir sur la richesse du monde émotionnel des animaux « de ferme ». Nous n’en sommes qu’aux balbutiements, mais en tout cas, s’il y aune chose que l’on peut dire, c’est bien que le cadre conceptuel de la théorie componentielle apporte des éléments nouveaux à l’étude des émotions chez l’animal ! :D